Le rapport de la commission d’enquête « relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences », présidée par la députée de La France insoumise Mathilde Panot et dont le député La République en marche Olivier Serva est le rapporteur, a été, ce jeudi 15 juillet, adopté à l’unanimité des membres de la commission.

Issue du droit de tirage du groupe parlementaire La France insoumise, la commission d’enquête présidée par la députée du Val-de-Marne, Mathilde Panot (LFI), et ayant pour rapporteur le député de Guadeloupe, Olivier Serva (LaREM), a débuté ses travaux le 3 mars dernier. Depuis, elle s’est tout particulièrement penchée sur la gestion de la distribution de l’eau, de l’entretien des réseaux et de l’assainissement, dès lors en particulier que cette gestion est déléguée par les collectivités à des acteurs privés et sur l’existence, dans les faits, d’un accès universel à l’eau.

L’EAU, BIEN COMMUN OU OBJET DE MARCHANDISATION ?

« Le droit à l’eau et à l’assainissement est en danger« , n’a pas hésité à déclarer Mathilde Panot, lors de la conférence de presse tenue à l’issue de l’adoption du rapport. « Oui, il y a une appropriation de l’eau par des intérêts privés en France« , a-t-elle poursuivi. Au cœur des préoccupations de la commission d’enquête, l’inquiétude suscitée par le modèle californien. L’eau, bien que ressource essentielle, y est considérée comme une matière première comme une autre et un produit financier à part entière, suscitant la convoitise toujours plus grande des marchés financiers et des multinationales.

En France, si la situation est évidemment très différente de celle constatée en Californie, certains déplorent déjà, à l’instar du journaliste Marc Laimé, auditionné par la commission d’enquête, le fait qu’il n’existe plus, dans les faits, de véritable service public de l’eau. Le journaliste spécialisé sur les politiques publiques de l’eau avait notamment dénoncé, lors de son audition le 27 mai dernier, une véritable « emprise exercée par les opérateurs sur les collectivités locales« .

Afin de rendre moins opaques les contrats de délégation de service public, le rapport prône la mise en place d’une gestion plus transparente de l’eau par les collectivités locales. Il s’agirait notamment de procéder à la collecte des données relatives aux réseaux et à l’assainissement, puis de les mettre en ligne, avec à la clé, sanctions pécuniaires ou retenues sur le versement des dotations de l’État pour les collectivités réfractaires.

Le rapport vise également à la création d’une autorité de régulation de l’eau et de l’assainissement qui aurait pour rôle de définir des normes communes applicables à l’ensemble des cahiers des charges, de fixer des exigences minimales en termes de qualité du service, et de sanctionner les abus éventuels. Il est également préconisé de renforcer les contrôles de l’Autorité de la concurrence sur le secteur de la gestion de l’eau.

UN DROIT HUMAIN NE DOIT PAS ÊTRE CONDITIONNÉ À LA CAPACITÉ DE PAYER. C’EST POURQUOI NOUS SOMMES FAVORABLES À CE QUE LES PREMIERS MÈTRES CUBES D’EAU INDISPENSABLES À UNE VIE DIGNE SOIENT GRATUITS. MATHILDE PANOT

Pour renforcer le droit du consommateur et assurer un accès universel à l’eau, Mathilde Panot souhaite « que les premiers mètres cubes d’eau indispensables à une vie digne soient gratuits« . Cette mesure serait assortie de la mise en place d’une tarification différenciée, permettant de financer cette gratuité pour les plus précaires.

Enfin, inspirée par le modèle espagnol, la commission d’enquête propose l’instauration par la loi d’une hiérarchie des usages de la ressource en eau. Autre piste pour limiter le gaspillage : la restitution aux nappes souterraines des eaux prélevées de manière excédentaire et des eaux industrielles traitées.

OPA DE VEOLIA SUR SUEZ, UNE AFFAIRE D’ETAT ?

Le rapprochement entre Veolia et Suez a fait l’objet de plusieurs auditions de la commission d’enquête et son rapport en fait « la pointe avancée de la marchandisation de l’eau ». Si le directeur général de Suez, Bertrand Camus, a estimé le 27 mai que l’offre publique d’achat de Veolia ne devrait rien changer au fonctionnement de la filière eau, il a tenu à rappeler son opposition initiale au projet et qu’il s’était « battu pour l’indépendance de Suez ».

Le PDG de Veolia, Antoine Frérot, a pour sa part réfuté les accusations d’intimidations, via la délégation d’huissiers à des auteurs d’articles qui s’étaient prononcés contre l’OPA, dont Marc Laimé. Lors de son audition, ce dernier a qualifié l’OPA d’« affaire d’Etat », rappelant que l’entreprise Veolia était détenue à 60% par des capitaux étrangers et que cela revenait à déposséder le pays d’une partie de sa gestion de l’eau. Les syndicats de Suez ont quant à eux dénoncé une absence de dialogue sur les modalités de l’opération, en particulier de la part du gouvernement. Mathilde Panot a pour sa part regretté « que le secrétaire général de l’Elysée, Alexis Kohler, ne se soit pas présenté devant la commission d’enquête, et que nous n’ayons donc pas toutes les réponses à nos questions« .

Si dans l’avant-propos du rapport, Mathilde Panot, en sa qualité de présidente de la commission d’enquête, considère que « cette opération conduira à une casse sociale sans précédent, avec des milliers d’emplois supprimés », elle déplore également le fait qu’elle place « Veolia en situation de monopole mondial sur le marché de l’eau, position lui permettant de dicter sa loi comme bon lui semble aux collectivités territoriales« . Face à ce type de menaces, la députée du Val-de-Marne estime qu' »il est grand temps que la France honore ses engagements internationaux en réaffirmant constitutionnellement son engagement en faveur du droit fondamental à l’accès à l’eau et à l’assainissement« .

DES TERRITOIRES D’OUTRE-MER PARTICULIÈREMENT MAL LOTIS

Une attention soutenue a, en outre, été portée par la commission d’enquête aux territoires ultra-marins, dont l’accès à l’eau subit des contraintes préoccupantes. Ainsi, en Guadeloupe, l’état de vétusté du système induit que 60% de l’eau potable est perdue dans des fuites, générant des coupures d’eau programmées dans les différentes zones de l’archipel. Olivier Serva évoque ainsi une « crise de l’eau » qui « résulte d’un sous-investissement en matière de renouvellement des réseaux« . « L’Etat doit aujourd’hui prendre sa part de responsabilité« , considère aussi le député d’Outre-mer.

Le rapport prône en premier lieu de faire de l’assainissement un objectif prioritaire au même titre que le rétablissement de la distribution d’eau potable en Guadeloupe. De même, il vise à y créer une véritable filière de formation aux métiers de l’eau. Autre préconisation : les factures d’eau anciennes et non réglées à la date de création du syndicat mixte unique de l’eau en Guadeloupe, lorsqu’elles ne correspondent pas à une consommation crédible ou aux capacités financières des usagers, devraient être annulées. Enfin, la commission d’enquête prône que l’Etat prenne à sa charge les frais de traitement de l’eau potable rendu nécessaire par la présence de chlordécone, pesticide utilisé pendant des décennies dans les bananeraies, qui a durablement pollué cours d’eau et nappes souterraines.

Mathilde Panot a par ailleurs indiqué que la commission d’enquête avait saisi le Procureur de la République « sur d’éventuelles malversations dans l’attribution et la gestion des marchés de l’eau et de son assainissement » en Guadeloupe.